Bien entendu, on n'apprend rien de nouveau en refermant ce livre. Le mystère reste entier, le coupable n'est pas démasqué. En fait, je ne suis pas étonné de n'avoir pas la vérité sur cette affaire. Il est à peu près certain qu'elle ne sera jamais connue.
J'ai lu « La serpe rouge » de Nan Aurousseau et Jean-François Miniac paru en 2021 chez Moissons Noires, La Geste. Ce livre-enquête traite du triple meurtre d'Escoire et de Henri Girard alias Georges Arnaud connu en particulier pour son roman « Le salaire de la peur » et l'adaptation cinématographique qui en a été faite. Les auteurs reviennent sur les faits, proposent des éclaircissements, bombardent le lecteur de questions restées en suspens.
J'ai lu ce livre et je dois avouer que j'ai quelques problèmes avec lui. Le premier, c'est que, bien avant, j'ai lu celui de Philippe Jaenada que je tiens pour un très bon écrivain qui parvient à me faire rire et à me faire sentir bien. J'ai parlé de ce livre, « La serpe », sur l'ancien blog. Il est tout à fait possible que je ne sois pas tout à fait objectif et que j'en sois amené à préférer « La serpe » à « La serpe rouge » juste parce que je l'ai lu en premier. Néanmoins, tout de même, je suis plus réceptif à l'écriture de Jaenada qu'à celle des deux auteurs dont c'est le sujet aujourd'hui.
L'autre problème, c'est que si Jaenada n'apporte lui non plus aucune certitude dans son livre, Aurousseau et Miniac, eux, avancent des hypothèses qui ne me plaisent pas et, notamment, celles qui font appel à la psychanalyse et qui leur permettent d'expliquer le triple meurtre par une haine supposée de Henri Girard envers sa famille qui n'a pas sauvé sa mère lorsqu'il était enfant. La mort de cette mère et cette haine seraient à l'origine des crimes perpétrés par Henri Girard. Bon. Admettons. Pourquoi pas ? Enfin, disons que ça n'explique en aucun cas pourquoi il aurait attendu que soient réunis son père et sa tante à Escoire et pourquoi il a tué la cuisinière. Enfin si, je mens, une explication est proposée. Henri Girard aurait commis ces meurtres en état de somnambulisme.
Reprenons. Henri Girard en veut après sa famille. Il propose à son père et à sa tante de se retrouver à Escoire. La nuit des crimes, il fait une crise de somnambulisme, il coupe l'électricité, il descend dans l'aile du château où se trouve ses futures victimes, se saisit de la serpe qu'il avait prémédité d'utiliser pour son forfait, tue tout le monde, déplace les corps, les mets en scène, file se laver dans un ruisseau ou une rivière souterraine des environs afin d'effacer le sang qu'il a partout, cache ses vêtements souillés, retourne se coucher et s'endort.
Je n'y connais rien en somnambulisme mais il me semble que l'on ne peut ni prévoir ni provoquer une crise. Ainsi, puisqu'il est admis dans la thèse avancée que Henri Girard aurait prémédité les crimes, la serpe aurait été placée en un endroit où le meurtrier savait la trouver à coup sûr. De même, il avait planifié l'heure à laquelle la crise allait survenir, ni trop tôt, ni trop tard. D'accord. Il est écrit que cela explique que Henri ne se souvienne de rien lors de la découverte des corps. Tout cela suscite des questions qui s'ajoutent aux questions déjà présentes.
Par exemple. Imaginons. Je m'endors et, dans la nuit, je me découvre un talent de somnambule. Puisque je vis seul, je ne trouve personne à tuer mais je fais quelque chose qui implique que j'aie un besoin urgent de me laver, de faire disparaître mes vêtements (tiens, oui au fait ? Je dors habillé, moi ?), et de disperser alentours des objets que j'ai pris la peine d'amener avec moi. Satisfait, je rentre, me couche et m'endors.
Au matin, ne suis-je pas étonné de ne pas retrouver ces vêtements ? Je ne me souviens de rien, soit, mais ça n'empêche pas l'étonnement. Alors, rien ne dit que Henri apparaît au matin de la découverte des crimes dans le même accoutrement que celui de la veille au soir. Toutefois, il est bien dit que Henri n'a qu'un maigre bagage et peu de vêtements de rechange. Et puis moi, ça me tracasse cette histoire de somnambulisme. Attention ! Je ne dis pas que ça ne peut pas arriver (quoique…). Je dis juste que ça ne fait qu'ajouter des hypothèses tirées par les cheveux à du mystère déjà bien assez mystérieux.
Sinon, on peut aussi dire que tout est bien organisé dans la tête de Henri. Il a décidé de tuer père et tante, il a son plan, la serpe, les vêtements de rechange, tout. Et surtout, je ne cherche pas à me faire un alibi en béton. Je préfère et de loin connaître le frisson du risque de me confronter au couperet qui tombe sur ma nuque. Je suis joueur. Sinon, on peut tout aussi avancer l'idée que Henri est innocent. Après tout, il n'a rien contre la cuisinière, il aurait pu tuer autrement. Une omelette aux champignons, en octobre, ça peut encore être possible.
Dans leur livre, les auteurs écrivent que ça ne peut pas être une personne étrangère aux lieux parce que pour assassiner ainsi avec une serpe, il fallait savoir que serpe il y avait. Ce n'est pas faux sauf que rien ne dit d'abord que ce serait là l'acte d'une seule personne ou que les meurtres ont été commis avec la serpe comme seule arme. Parce que moi aussi je peux faire des hypothèses. Des personnes sont en mission pour tuer Georges Girard, le père de Henri. Pour travailler sans réveiller le village, ils ont amené des haches. Ça doit faire à peu de choses près le même travail. En arrivant, il découvre cette serpe près de la porte de la cuisine. Ils en profitent pour la laisser sur les lieux pour brouiller les pistes. Même, peut-être ne savent-ils pas que Henri est à l'étage à l'autre extrémité du château et veulent-ils faire accroire à l'œuvre de cambrioleurs ?
Sauf que là, c'est vrai qu'il y a la question des huit-mille francs laissés sur la cheminée. C'est troublant mais si ça ne l'était pas, ce serait clair comme de l'eau de roche. Et d'ailleurs, en parlant d'argent. Il est avancé que l'une des motivations de Henri serait l'argent dont il n'est pas économe. Il a de gros besoins financiers pour mener une vie de patachon et payer à boire à tout le monde. Il aime faire la fête, Henri. Eh oui ! Même si c'est la guerre (ou plutôt l'occupation), on est jeune et on veut s'amuser.
Après son acquittement, Henri vendra toutes les propriétés dont il héritera et dilapidera une très grosse somme d'argent en un temps record avant de partir pour l'Amérique latine. Les auteurs avancent que cela s'explique par le désir plus ou moins conscient d'en finir avec toute trace de sa famille paternelle. C'est une explication intéressante. Du passé faisons table rase. Elle ne me satisfait pas totalement parce que, selon moi, elle ne colle pas tout à fait avec le fait que Henri était réputé demander de l'argent à ses parents d'une manière constante. Les auteurs reviennent très souvent sur des explications d'ordre psychanalytique. J'émets des doutes mais j'en sais sans aucun doute bien moins sur le sujet qu'eux.
Il n'en reste pas moins un point qui est relaté par Philippe Jaenada et qui est tu ici, le viol de la tante. Jaenada part sur cela pour avancer une accusation à peine voilée du fils des gardiens de la propriété. Aurousseau et Miniac n'en parlent pas. Autre point concernant le travail d'enquête. Elle me semble bien plus poussée chez Jaenada qui a hanté les archives départementales durant assez longtemps pour éplucher tout de dossier. Au bénéfice de Aurousseau et Miniac, je note la partie traitant de l'acquittement et du marché de dupes passé entre Me Garçon, avocat de Henri, et le juge Hurleaux président de la cour d'assises.
Quoi qu'il en soit, voilà un livre de plus sur ce triple assassinat qui ne révèle rien de fondamental (pas plus que les autres sur le sujet). La lecture est plutôt agréable. On ne saura probablement jamais le fin mot de l'histoire et la question principale qui reste est celle concernant Henri Girard. Coupable ou innocent ?
1 De Tournesol -
Bel article.Je ne connais de ce triple meurtre que ce que j’ai lu sur ce blog et son prédécesseur.
Il est de la sagesse populaire de ne pas réveiller un somnambule .Ça pourrait lui nuire . Notons la grande bonté des victimes qui se sont laissé trucider en silence et sans se débattre.Plus sérieusement,les opérations complexes ne sont pas réalisables lors d’une crise de somnambulisme.On pourra opposer à cela « l’exception qui confirme la règle « mais ça fait beaucoup de présupposés.
Par contre,il existe une variété d’épilepsie : le petit mal ou les sujets peuvent accomplir des actes complexes sans en garder aucun souvenir conscient.Notre prof de neurologie nous citait ce patient marseillais qui avait quitté son domicile,pris un billet de train pour Paris et qui s’était « réveillé » une fois arrivé à la capitale,sans savoir ce qu’il faisait là.Ça reste un cas très rare.J’ai eu connaissance d’un brave périgourdin en stage à Bordeaux,épileptique connu,qui avait interrompu son traitement,arrêté dans la rue de nuit en costume cravate mais en calçon et pantoufles…il n’a pu s’expliquer que le lendemain .Sans papiers,incohérent,il avait été placé en cellule de dégrisement.
S’habiller,nouer une cravate,sortir de son hôtel sont des actes complexes.Manquait quand même un pantalon et des chaussures,ainsi que la capacité à s’expliquer.
Bon ça nous dit pas qui était le tueur ,mais si ça peut faire avancer le schmmillibilic,pour la gloire de dieu et le salut du monde ! Salut à tous.
2 De Michel Loiseau -
@Tournesol : J'espérais bien obtenir un avis éclairé. Je note les cas de "petit mal" que je pensais contenus dans quelques secondes ou minutes. J'entends néanmoins et persiste à opposer la préparation et préméditation qui aurait été nécessaire à la bonne réalisation du plan machiavélique.
3 De Tournesol -
Michel : on est d’accord.ni somnambulisme ni épilepsie ne peuvent justifier une préparation .
Le petit mal,appelé ainsi car il n’´induit pas de crise tonico clonique avec perte de conscience,dure le plus souvent quelques secondes ou minutes,avec répétition d’actes automatiques simples : hocher la tête,mâchonner,cligner des yeux.Du moins dans les formes d’épilepsie congénitales.
Les épilepsies secondaires à des tumeurs intra crâniennes ( méningiomes,tumeur cérébrales,anévrismes) ou à des traumatismes crâniens ont des expressions plus complexes,peuvent donner l’impression d’un état ebrieux ou donner l’illusion d’actes conscients ( aller à la gare,commander et payer un billet de train,trouver le bon quai…) Reste que la plupart du temps si l’acte est interrompu l’individu montre un état confusionnel et une difficulté à communiquer.
4 De Jeannot lou Paysan -
Ah ben dis donc! Une vraie mine d'or cette affaire. J'ai la version Jaenada, qui m'a bien botté. Je le kiffe bien Jaenada. Je n'ai guère envie d'enrichir encore un autre couple (trouple) auteurs- éditeur.
Pour ce qui est de la serpe, n'oublions pas que nous sommes à la campagne. Venez faire un tour. dans mon bûcher, vous y trouverez tout le nécessaire si tout d'un coup vous viens l'envie (bien compréhensible) de me zigouiller. Merlin, haches, hachette, serpe, coins...pire que chez Castorama. Et comme on est modernes et cinéphiles, y a même des tronçonneuses.
5 De Tournesol -
Jeannot Lou paysan : zigouiller: mot dialectal du centre et de l’ouest de la France qui signifie couper avec un mauvais couteau.
Vous n’entretenez pas votre matériel ?
Zigouiller au sens de tuer est attesté depuis 1895 ( source : cnrtl )
6 De Waldo7624 -
Le commentaire du jour étant presque aussi long à lire qu'un livre de notre ami Jaenada, je préfère le faire à tête reposée (comme Louis XVI avait répondu au matin du 21 janvier 1793, à quelqu'un qui lui tendait un petit mot d'encouragement ), pour le moment je vais me dégourdir les guiboles, et ce n'est pas une crise de somnambulisme...
7 De Jeannot lou Paysan -
@ Tournesol: "Ton couteau coupe comme le genou de ma belle-mère!"
Souvent répétée par mon paternel, cette phrase est devenue comme une devise chez moi. Avec celle-ci, hors sujet: "Courbé, toujours", surtout au moment des semis.
8 De fifi -
J'adore tous ce qui coupent, comme Boubou.
9 De fifi -
Je suis allé sur l'ancien blog, 29 réactions qui faisait envie de le lire.
Aujourd'hui, " on apprend rien de nouveau..." et ils se mettent à deux pour ce pavé. :-)).
10 De Waldo7624 -
J'ai tout lu, plus ou moins vite, je l'admets, car j'ai peu de loisirs ces temps-ci.
D’abord, le somnambulisme est une hypothèse plausible : j’ai été moi-même somnambule étant jeune (disons entre 8 et 12 ans). On me racontait le matin mes pérégrinations nocturnes. Jusqu’à sortir dans le jardin, lorsqu’on était à la campagne, et tenir des propos incohérents. Pour ce qui est des propos incohérents, j’ai d'ailleurs gardé cette habitude, même éveillé.
J’avoue avoir eu parfois des envies de meurtres, par exemple à la cantine de l’école je n’aimais pas les betteraves et j’aurais volontiers occis la cuisinière lors d’une crise de somnambulisme si j’avais connu son adresse, et à condition qu’elle n’habite pas trop loin, bien sûr. Donc, c’est possible…
Enfin, cela me donne une idée dont je parlerai au chef dès demain s’il s’aventure jusqu’au siège de l’asso hahaha...
11 De Tournesol -
Je pense quand même que l’hypothèse des extra-terrestres sanguinaires n’a pas été assez évoquée.
12 De fifi -
@ Waldo7624: La cantine, moi , j'en ai de bons souvenirs, mais vous m'avez fait songer au groupe:
Les Elles : " Les Ciseaux pointus ", chanson excellente parmi tant d'autres.