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La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada

C'est l'histoire de Kaki, d'une partie de sa vie et puis de sa mort. L'histoire de Jacqueline Harispe morte par défenestration en 1953, à l'âge de vingt ans, à Paris, pas loin du cimetière Montparnasse. Accident ou suicide ? Assassinat ? Sans doute une lassitude profonde, l'idée d'en finir. Philippe Jaenada part de ce fait divers pour nous raconter une autre histoire, peut-être bien le vrai sujet du livre.
De l'histoire brève d'une jeune femme morte à vingt ans, comment en vient-on à décider à faire le tour de France en voiture de location en longeant les côtes, les montagnes, les frontières du pays ? Comment d'une affaire tout à fait parisienne, d'une affaire qui se passe majoritairement dans un tout petit quartier parisien, en vient-on à boucler un voyage au plus près des limites du pays ? Pour moi, ce livre raconte deux histoires distinctes que rien ne semble pouvoir raccrocher l'une à l'autre.
Soixante-dix ans séparent la mort de Kaki et le voyage en solitaire de l'écrivain. Ce qui, sans aucun doute, relie la jeune femme et l'écrivain voyageur, c'est la quête. La quête de quelque chose, d'une réponse, d'une explication, d'une raison à tout ça, le pourquoi de la vie, le pourquoi du comment, le pourquoi pour le pourquoi. C'est un travail d'introspection dans lequel l'auteur essaie de recoller les morceaux et imagine qu'il trouvera une réponse à ses questions en questionnant ce qu'il pourra trouver en enquêtant sur la vie et la mort de Kaki ainsi que sur celles et ceux qui l'entouraient. En enquêtant aussi sur un Paris qu'il n'a pas connu, un Paris qui n'existe plus, et qu'il va s'appliquer à reconstituer avec minutie, traquant les traces encore aujourd'hui présentes ou se plongeant dans les archives, les photographies, les mémoires.

Il est question de désinvolture. le dictionnaire de synonyme donne comme équivalence : légèreté, aisance, liberté et grâce mais aussi impolitesse, grossièreté, inélégance ou arrogance. Gardons les termes positifs. Ce sont eux qui qualifient bien l'écriture de Philippe Jaenada. Il y a bien de la désinvolture dans son style. De l'auto-dérision, de l'humour, de la délicatesse, du détachement. Le livre commence par le vrai point de départ choisi pour son tour de France derrière un volant. Dunkerque. Il faut bien partir de quelque part. Dunkerque, c'est la mer du Nord, la pointe la plus septentrionale de la France continentale. Philippe Jaenada met en place les rituels qui seront de mise tout au long du voyage. Trouver un bar où l'on sert du whisky, un restaurant pas trop mauvais, un hôtel sympathique où dormir. Il voyage seul mais tout de même en compagnie de Gladys, la voix du GPS embarqué. Il ne va pas raconter les autoroutes et les routes empruntées mais va nous faire faire des sauts de puce d'étape en étape.
Après Dunkerque, Veules-les-Roses, Cherbourg, Dinard, Konk-Leon (le Conquet), Saint-Nazaire, Saint-Jean-de-Monts, Saint-Georges-de-Didonne, Arcachon, Hendaye, Bagnères-de-Luchon, Port-Vendres, La Grande-Motte, Toulon, Menton, Briançon, Évian-les-Bains, Montbéliard, Wissembourg, Sedan, Givet, Maubeuge et, fatalement, Dunkerque avant le retour à Paris.
Chaque étape est l'occasion de faire le point sur l'enquête et de dévoiler des anecdotes personnelles. Au rythme des sauts de puce, on apprend à connaître les amis de Kaki, le bar « Chez Moineau » et par là-même Guy Debord et le photographe Ed van der Elsken qui a documenté cette jeunesse des tout débuts des années 50 à Paris.

Dans ces années là de l'immédiat après guerre vit une jeunesse qui n'a pas connu l'enfance insouciante, qui a vécu des drames, qui a pu perdre ses parents, ses frères et sœurs, ses proches. Une jeunesse en recherche d'une raison de vivre, une jeunesse en quête de sens, une jeunesse perdue qui cherche des solutions dans l'alcool, dans la drogue, dans le sexe. Une jeunesse qui cherche à fuir une époque qu'elle ne comprend pas et qui ne les comprend pas. C'est le vertige destructeur d'une jeunesse en dérive.
Le petit groupe formé avec et autour de Kaki vit de ce qu'il peut. A l'occasion, on se fait voleur pour se payer de quoi boire, se droguer et manger, on se prostitue, on se débrouille. Le Paris de l'époque est encore pauvre, majoritairement populaire. L'occupation allemande est encore dans les esprits et si la guerre est finie, le bonheur tarde à arriver. Philippe Jaenada fait revivre ce Paris qu'il n'a pourtant pas pu connaître. La France est encore en guerre, loin, là-bas en Indochine. Bientôt, elle le sera de nouveau en Algérie. Mais ça, Kaki ne le saura jamais.

Ce livre fait appel à la désinvolture mais ne serait-il pas plutôt question de mélancolie, d'une triste mélancolie, une mélancolie sensible ? C'est à dire que la vie et la mort de Kaki et même le voyage de l'auteur autour des limites et frontières nationales ne respirent tout de même pas la joie de vivre. Que ce soient ces jeunes qui passent leurs journées à picoler dans un bar miteux ou que ce soit un écrivain (très bon néanmoins) qui voyage seul, avec son GPS pour unique compagne, sans autre but et destination que Dunkerque, ce n'est pas ce que j'appelle de la joyeuse gaudriole.
Moi, je pense que Kaki, c'est un prétexte, une icône romantique, une excuse à la mélancolie. Philippe Jaenada est un poil plus vieux que moi (de quelques mois). Nous sommes de la même génération, nous avons connu peu ou prou les mêmes périodes, les mêmes événements, les mêmes espoirs et désillusions. Nous sommes nés sous de Gaulle, avons connu Pompidou et Giscard, Mitterrand et Chirac ; nous avons peut-être écouté les mêmes musiques, vu les mêmes films, lu les mêmes livres. Les tourments des vieux jeunes nés dans les années 60 doivent être communs à pas mal de celles et ceux nés ces mêmes années.
Kaki est née en ou vers 1933. Au début des années 50, Guy Debord porte les germes du Situationnisme en lui. En gros, le Situationnisme propose que l'on participe à la révolution en créant des situations à partir des moments de sa vie, sans s'occuper plus du passé que de l'avenir. Chaque individu doit s'auto-gérer et vivre dans la plus extrême liberté d'être. Il y a une forme d'hédonisme mâtiné d'une dose de cynisme et de nihilisme de bon aloi. La doctrine veut en finir avec le capitalisme en le ridiculisant et en ridiculisant ce qu'il produit. Ainsi, on détourne, on se moque mais, surtout, on boit beaucoup. Le petit bar « Chez Moineau », rue du Four, en est le témoin.
Pour la génération qui suivra, il y aura le Flower Power, qui prendra fin avec l'assassinat de Sharon Tate par des membres de la secte de Charles Manson. Là aussi on peut voir une jeunesse qui tente de survivre dans une société qui propose la guerre du Viêt-Nam et la guerre froide comme uniques perspectives. Et là aussi, on peut voir des jeunes s'adonner sans retenue à l'illusion de la consommation de drogues, d'alcool et de sexe.
Pour ma génération, il y a le mouvement Punk anglais qui répond à Thatcher, à Reagan, au capitalisme et au libéralisme naissant. Alcool, drogue, sexe, toujours au rendez-vous. La décennie suivante aura le mouvement Grunge.
A chaque période ses icônes. Amy Winehouse, Kurt Cobain, Sid Vicious, Janis Joplin, Hendrix, Morrison… Est-ce que Kaki a sa place dans ce funeste panthéon ? Ce qui me semble certain, c'est que Philippe Jaenada cherche dans le suicide de Kaki une ou des réponses à la mélancolie d'une partie de la jeunesse, de toutes les époques. Les raisons de cette mélancolie ne sont pas toujours semblables, les solutions, elles, se ressemblent souvent.

Ce livre n'est pas joyeux. Les précédents de l'auteur ne le sont pas particulièrement non plus, il faut le reconnaître, mais, habituellement, Philippe Jaenada mène l'enquête et traque le ou les coupables. Là, s'il s'agit bien d'un suicide dans le cas de Jacqueline Harispe, la coupable est connue depuis le départ. L'enquête consiste à reconstituer ce qui a mené une jeune femme décrite comme belle, vive et intelligente à se jeter par la fenêtre d'un hôtel parisien alors qu'elle est enceinte et amoureuse d'un beau soldat américain. On sait qu'il n'y aura pas de réponse à la question et ça finit par tourner en rond dans la tête, comme on fait un tour de France en voiture et en solitaire pour revenir au point de départ avec toujours cette question : « Pourquoi ? »


La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada — Mialet Barrault éd. - ISBN 978-2-0804-2729-8

La serpe rouge

Bien entendu, on n'apprend rien de nouveau en refermant ce livre. Le mystère reste entier, le coupable n'est pas démasqué. En fait, je ne suis pas étonné de n'avoir pas la vérité sur cette affaire. Il est à peu près certain qu'elle ne sera jamais connue.

J'ai lu « La serpe rouge » de Nan Aurousseau et Jean-François Miniac paru en 2021 chez Moissons Noires, La Geste. Ce livre-enquête traite du triple meurtre d'Escoire et de Henri Girard alias Georges Arnaud connu en particulier pour son roman « Le salaire de la peur » et l'adaptation cinématographique qui en a été faite. Les auteurs reviennent sur les faits, proposent des éclaircissements, bombardent le lecteur de questions restées en suspens.

Nan Aurousseau et Jean-François Miniac
J'ai lu ce livre et je dois avouer que j'ai quelques problèmes avec lui. Le premier, c'est que, bien avant, j'ai lu celui de Philippe Jaenada que je tiens pour un très bon écrivain qui parvient à me faire rire et à me faire sentir bien. J'ai parlé de ce livre, « La serpe », sur l'ancien blog. Il est tout à fait possible que je ne sois pas tout à fait objectif et que j'en sois amené à préférer « La serpe » à « La serpe rouge » juste parce que je l'ai lu en premier. Néanmoins, tout de même, je suis plus réceptif à l'écriture de Jaenada qu'à celle des deux auteurs dont c'est le sujet aujourd'hui.
L'autre problème, c'est que si Jaenada n'apporte lui non plus aucune certitude dans son livre, Aurousseau et Miniac, eux, avancent des hypothèses qui ne me plaisent pas et, notamment, celles qui font appel à la psychanalyse et qui leur permettent d'expliquer le triple meurtre par une haine supposée de Henri Girard envers sa famille qui n'a pas sauvé sa mère lorsqu'il était enfant. La mort de cette mère et cette haine seraient à l'origine des crimes perpétrés par Henri Girard. Bon. Admettons. Pourquoi pas ? Enfin, disons que ça n'explique en aucun cas pourquoi il aurait attendu que soient réunis son père et sa tante à Escoire et pourquoi il a tué la cuisinière. Enfin si, je mens, une explication est proposée. Henri Girard aurait commis ces meurtres en état de somnambulisme.
Reprenons. Henri Girard en veut après sa famille. Il propose à son père et à sa tante de se retrouver à Escoire. La nuit des crimes, il fait une crise de somnambulisme, il coupe l'électricité, il descend dans l'aile du château où se trouve ses futures victimes, se saisit de la serpe qu'il avait prémédité d'utiliser pour son forfait, tue tout le monde, déplace les corps, les mets en scène, file se laver dans un ruisseau ou une rivière souterraine des environs afin d'effacer le sang qu'il a partout, cache ses vêtements souillés, retourne se coucher et s'endort.
Je n'y connais rien en somnambulisme mais il me semble que l'on ne peut ni prévoir ni provoquer une crise. Ainsi, puisqu'il est admis dans la thèse avancée que Henri Girard aurait prémédité les crimes, la serpe aurait été placée en un endroit où le meurtrier savait la trouver à coup sûr. De même, il avait planifié l'heure à laquelle la crise allait survenir, ni trop tôt, ni trop tard. D'accord. Il est écrit que cela explique que Henri ne se souvienne de rien lors de la découverte des corps. Tout cela suscite des questions qui s'ajoutent aux questions déjà présentes.

Par exemple. Imaginons. Je m'endors et, dans la nuit, je me découvre un talent de somnambule. Puisque je vis seul, je ne trouve personne à tuer mais je fais quelque chose qui implique que j'aie un besoin urgent de me laver, de faire disparaître mes vêtements (tiens, oui au fait ? Je dors habillé, moi ?), et de disperser alentours des objets que j'ai pris la peine d'amener avec moi. Satisfait, je rentre, me couche et m'endors.
Au matin, ne suis-je pas étonné de ne pas retrouver ces vêtements ? Je ne me souviens de rien, soit, mais ça n'empêche pas l'étonnement. Alors, rien ne dit que Henri apparaît au matin de la découverte des crimes dans le même accoutrement que celui de la veille au soir. Toutefois, il est bien dit que Henri n'a qu'un maigre bagage et peu de vêtements de rechange. Et puis moi, ça me tracasse cette histoire de somnambulisme. Attention ! Je ne dis pas que ça ne peut pas arriver (quoique…). Je dis juste que ça ne fait qu'ajouter des hypothèses tirées par les cheveux à du mystère déjà bien assez mystérieux.
Sinon, on peut aussi dire que tout est bien organisé dans la tête de Henri. Il a décidé de tuer père et tante, il a son plan, la serpe, les vêtements de rechange, tout. Et surtout, je ne cherche pas à me faire un alibi en béton. Je préfère et de loin connaître le frisson du risque de me confronter au couperet qui tombe sur ma nuque. Je suis joueur. Sinon, on peut tout aussi avancer l'idée que Henri est innocent. Après tout, il n'a rien contre la cuisinière, il aurait pu tuer autrement. Une omelette aux champignons, en octobre, ça peut encore être possible.

Dans leur livre, les auteurs écrivent que ça ne peut pas être une personne étrangère aux lieux parce que pour assassiner ainsi avec une serpe, il fallait savoir que serpe il y avait. Ce n'est pas faux sauf que rien ne dit d'abord que ce serait là l'acte d'une seule personne ou que les meurtres ont été commis avec la serpe comme seule arme. Parce que moi aussi je peux faire des hypothèses. Des personnes sont en mission pour tuer Georges Girard, le père de Henri. Pour travailler sans réveiller le village, ils ont amené des haches. Ça doit faire à peu de choses près le même travail. En arrivant, il découvre cette serpe près de la porte de la cuisine. Ils en profitent pour la laisser sur les lieux pour brouiller les pistes. Même, peut-être ne savent-ils pas que Henri est à l'étage à l'autre extrémité du château et veulent-ils faire accroire à l'œuvre de cambrioleurs ?
Sauf que là, c'est vrai qu'il y a la question des huit-mille francs laissés sur la cheminée. C'est troublant mais si ça ne l'était pas, ce serait clair comme de l'eau de roche. Et d'ailleurs, en parlant d'argent. Il est avancé que l'une des motivations de Henri serait l'argent dont il n'est pas économe. Il a de gros besoins financiers pour mener une vie de patachon et payer à boire à tout le monde. Il aime faire la fête, Henri. Eh oui ! Même si c'est la guerre (ou plutôt l'occupation), on est jeune et on veut s'amuser.
Après son acquittement, Henri vendra toutes les propriétés dont il héritera et dilapidera une très grosse somme d'argent en un temps record avant de partir pour l'Amérique latine. Les auteurs avancent que cela s'explique par le désir plus ou moins conscient d'en finir avec toute trace de sa famille paternelle. C'est une explication intéressante. Du passé faisons table rase. Elle ne me satisfait pas totalement parce que, selon moi, elle ne colle pas tout à fait avec le fait que Henri était réputé demander de l'argent à ses parents d'une manière constante. Les auteurs reviennent très souvent sur des explications d'ordre psychanalytique. J'émets des doutes mais j'en sais sans aucun doute bien moins sur le sujet qu'eux.

Il n'en reste pas moins un point qui est relaté par Philippe Jaenada et qui est tu ici, le viol de la tante. Jaenada part sur cela pour avancer une accusation à peine voilée du fils des gardiens de la propriété. Aurousseau et Miniac n'en parlent pas. Autre point concernant le travail d'enquête. Elle me semble bien plus poussée chez Jaenada qui a hanté les archives départementales durant assez longtemps pour éplucher tout de dossier. Au bénéfice de Aurousseau et Miniac, je note la partie traitant de l'acquittement et du marché de dupes passé entre Me Garçon, avocat de Henri, et le juge Hurleaux président de la cour d'assises.
Quoi qu'il en soit, voilà un livre de plus sur ce triple assassinat qui ne révèle rien de fondamental (pas plus que les autres sur le sujet). La lecture est plutôt agréable. On ne saura probablement jamais le fin mot de l'histoire et la question principale qui reste est celle concernant Henri Girard. Coupable ou innocent ?

Recette de cuisine

On m'avait apporté un potiron. Hier, après avoir trimé une bonne partie de la journée à développer des photos pour le compte d'un copain, je me suis mis en tête de faire de la soupe de potiron. Ça tombait rudement bien, vu que j'en avais un, de potiron. D'ailleurs, celui qui me l'avait apporté, ce potiron, m'avait dit que ça se conservait bien et que, même s'il avait été récolté à l'automne dernier (je n'ai pas la date exacte, j'ai oublié de le lui demander), il était encore en parfait état et, selon lui, excellent.
Ce qui est une aubaine, hormis le fait que j'ai pu avoir un potiron gratuitement, ce qui, en somme n'est déjà pas rien, c'est que j'aime bien la soupe de potiron. Et puis, aussi, ce potiron allait me permettre de sortir du cycle infernal des pâtes. Penne le lundi, spaghetti le mardi, macaroni le mercredi et retour aux penne puis aux spaghetti et ainsi de suite, chaque jour que dieu fait, d'avril à mars, que les années soient bissextiles ou non. C'est lassant.
J'ai pris un solide et grand couteau et j'ai tranché le potiron en deux parties. J'ai coupé chacune de ces moitiés en deux et j'ai viré les graines que je n'affectionne pas particulièrement. Ensuite, toujours avec ce couteau à la lame aiguisée comme un rasoir, j'ai épluché les huitièmes potiron. J'ai essayé de minimiser la perte en allant au plus près de la chair (ou de la pulpe pour nos ami·es vegan qui peuvent nous lire). J'ai détaillé le potiron en cubes parfaitement inégaux que j'ai placés dans une passoire (parce que je n'avais que ça sous la main).
Là, je me permets une légère digression. C'est en souhaitant en apprendre plus au sujet de ces potirons (et de leurs amies les citrouilles (que je confonds souvent (comme beaucoup)))[1] que je suis allé me renseigner sur wikipedia. Et là, qu'apprends-je ? Je cite :

Le nom du potiron est attribué au 13e jour du mois de vendémiaire du calendrier républicain ou révolutionnaire français, généralement chaque 4 octobre du calendrier grégorien soit quatre jours avant le jour de la citrouille (17 vendémiaire généralement autour du 8 octobre), et plusieurs avant Halloween et Samain.

Alors, déjà, je ne vous dis pas mon berlutement en apprenant qu'il avait existé à la fois un jour "potiron" et un jour "citrouille". Je ne suis pas toujours pour que l'on en revienne aux traditions passées mais avouons que ça a un peu plus de gueule que nos "lundi", "mardi" et autres "dimanche". En lisant cela, les yeux écarquillées grand comme ça, je me suis fait la réflexion qu'en ces temps révolutionnaires, les cucurbitacées devaient avoir le vent en poupe et que la population devait en manger jusqu'à plus soif. Quoique, je me pose la question, le jus de potiron est-il bon ? Je n'ai jamais goûté. Sans doute doit-on pouvoir faire fermenter et produire quelque boisson alcoolique avec ça ? Enfin, je ne suis pas sûr du tout que ça fermente mieux que ça pourrisse. Et puis, le fait que l'on ne trouve pas dans les commerces de jus de potiron (alcoolisé ou pas) est peut-être un indice suffisant pour se permettre de douter des qualités organoleptiques de l'affaire. Passons.
Donc, après avoir coupé et tranché en fines lamelles un bel oignon jaune dûment débarrassé des multiples peaux superfétatoires, je l'ai fait blondir dans du bon beurre de Bretagne. Ensuite, j'ai mis les dés (ou cubes mal foutus) de potiron, j'ai touillé un peu, j'ai ajouté des ingrédients comme le sel et le poivre et d'autres trucs liquides de la même espèce avant de couvrir (ah oui, il faut préciser que j'avais allumé le feu sous la marmite). Je suis reparti bosser durant un peu moins d'une heure (il me semble) et il était bientôt l'heure de manger (mon ventre me le rappelait). J'ai mouliné tout le bazar et me suis servi une bonne assiette de cet excellent potage.

Note

[1] cette histoire de parenthèses imbriquées, je le dois à Philippe Jaenada qui en fait grand usage pour mon plus grand plaisir

Monstres et compagnie

C'est un peu comme l'histoire du battement d'ailes de papillon. Un acte, n'importe quel acte, peut provoquer un événement n'importe où ailleurs sans que l'on puisse tirer un lien de causalité entre l'acte original et la conséquence induite.
Un exemple. Vous êtes dans votre jardin à biner vos choux-raves et, parce que vous n'avez pas pris la précaution élémentaire de vous couvrir d'un chandail à rayures bleues, vous avez attrapé froid et vous éternuez. Parce que vous avez été pris de vitesse par la sternutation intempestive, vous n'avez pas eu le temps d'attraper le mouchoir de Cholet préventivement rangé au fond de la poche de votre pantalon et, afin de parer au plus pressé, vous vous êtes rabattu sur votre main pour recueillir la morve et les crachats. Vous voilà beau ! Vous jetez un œil à droite et à gauche pour vous assurer que l'on ne vous a pas surpris dans votre geste, disons-le, dégueulasse et bien éloigné des plus élémentaires règles du bon goût et de la délicatesse. Vous avez été arrêté dans votre binage, vous n'avez qu'un désir : celui de vous y remettre au plus tôt. Le chou-rave n'attend pas.
Or, et ça vous ne vous y attendiez pas, s'il est bien certain que personne ne vous a vu, il y a néanmoins Huguette qui vous a entendu depuis la cuisine de son petit logement, juste là, derrière le mur mitoyen qui sépare la propriété voisine de votre carré potager où poussent vos choux-raves. Et Huguette, cette brave Huguette, elle est justement en train de repasser la liquette de Léon, son époux. Comme elle a les nerfs fragiles, elle réagit avec trop d'intensité à votre éternuement. Dans un geste réflexe malheureux, elle sursaute avec vigueur. Ceci a pour effet immédiat de tirer sur le cordon du fer à repasser et, par voie de conséquence, d'arracher la prise murale (mal) installée par son Léon de bricoleur.
En explosant, la prise murale libère les fils électriques, le fil de phase comme ceux de neutre et de terre. Tous ces câbles dénudés finissent par se toucher d'où un beau court-circuit accompagné d'un échauffement consécutif et d'un début d'incendie. Huguette n'y prend pas garde et va se servir un verre de Cognac pour se remettre les nerfs en place. Là, elle avise Léon confortablement installé dans son fauteuil en pleine lecture des pages sport du Pélerin Magazine. Dans sa tête, ça fait comme un court-circuit d'un autre genre. Elle pète les plombs (comme on dit vulgairement). Elle se met à engueuler Léon, lui reproche de ne rien foutre de la journée, de ne pas même s'occuper du bouturage des choux-raves qui attendent au sous-sol et que si c'est comme ça, si sa mère vivait encore, elle repartirait sans plus attendre chez elle.
Léon, qui n'aime pas être dérangé dans ses activités intellectuelles s'emporte à son tour et l'engueulade prend une ampleur insoupçonnée. Pendant ce temps, la cuisine est gagnée par les flammes mais pas plus Huguette que Léon, tout occupés qu'ils sont à se lancer des noms d'oiseaux, n'y prêtent attention. L'incendie en profite, en catimini, pour s'étendre à l'étage, aux rideaux de la chambre et au couvre-lit, aux pages de la Bible et à la lingerie coquine du deuxième tiroir de la commode.
Non loin de là, Maurice Lelong, adjoint au maire, aperçoit un panache de fumée s'élevant de la maison de ses concitoyens. Il se saisit de son téléphone portable et compose le numéro de téléphone des pompiers. En quelques minutes à peine, le centre de secours du canton est averti et une équipe de valeureux guerriers du feu s'équipe pour partir combattre l'incendie et sauver des vies. Toutes sirènes hurlantes, le camion file à vive allure à l'assaut de la route départementale. Par grand malheur, on n'avait pas prévu qu'Anatole, agriculteur d'âge très avancé et sourd comme un pot, avait décidé, comme fait exprès, de s'en aller sarcler son petit champ de choux-raves. En plus d'être mal-entendant, Anatole est d'un naturel très distrait et il n'entend pas plus qu'il ne voit le rouge véhicule apparaître derrière le traître virage bordé d'arbres de haute futaie. Il embraye et engage le petit Massey-Ferguson sur la route, juste pour la traverser, son lopin de terre est juste en face. Le camion n'a pas le temps de freiner, le chauffeur parvient à éviter Anatole et son tracteur mais conduit le véhicule de secours au fossé. Pendant ce temps, la maison est entièrement avalée par les flammes. Huguette et Léon ont arrêté de se disputer et sont dans leur jardin, bouches bées et larmes aux yeux.
Mais la fumée dégagée par le sinistre a pour conséquence d'importuner les guêpes qui avaient élu domicile dans un arbre creux. L'une d'elle, par pure méchanceté, par fourberie, par surprise, vole à toute allure vers vous qui avez interrompu votre opération de binage pour profiter du spectacle de cette maison en flammes. Vous prenant à revers, la guêpe perfide vise un point précis de votre anatomie et le dard dressé en avant, vous pique et inocule une belle quantité de venin. Vous ne le saviez pas encore mais il se trouve que vous êtes terriblement réactif et allergique et que vous allez bientôt passer de vie à trépas. C'est pas de chance. Tout ça à cause d'un éternuement et, d'une certaine manière, des choux-raves.

L'effet papillon, c'est un peu ça. Si je vous parle de cet effet, c'est que j'ai fini la lecture du dernier livre de Philippe Jaenada, "Au printemps des monstres" (Mialet Barrault, 2021), et que, au moins pour le début du livre, je vois un rapport plus que certain avec cet effet papillon que j'ai tenté de vous expliquer un peu avant. Mais je vois que votre cervelle n'est pas conçue pour comprendre sans que l'on vous explique longtemps. Je vais donc vous apporter des éclaircissements.
En son temps, j'avais écrit tout le bien que je pense d'un roman précédent du même auteur, "La serpe", qui nous éclaire d'un jour nouveau sur l'affaire du triple meurtre d'Escoire et du destin incroyable d'Henri Girard plus connu sous le nom de Georges Arnaud. Cette fois-ci, Philippe Jaenada entreprend au long de plus de 700 pages de nous donner sa vision d'une autre tragique affaire, celle du meurtre de Luc Taron, petit garçon de 11 ans, tué en 1964.

Et c'est là qu'arrive le lien que je me permets de faire entre l'effet papillon et le meurtre de Luc Taron. Vous allez voir, c'est bien tiré par les cheveux et un poil tordu comme raisonnement. J'aime ça. Vous allez adorer, j'en suis presque certain. Ceci dit, si ça se trouve vous allez trouver tout cela totalement insensé, dénué d'intérêt, farfelu et, en un mot, ridicule. Possible mais attendez un peu avant de juger.

Donc, Luc Taron. Luc Taron est un petit garçon de 11 ans que l'on retrouve mort (et pas de mort naturelle) dans un bois du sud parisien. Luc Taron était un petit garçon parisien qui allait à l'école, avait des camarades de classe, une maîtresse, des parents, ses petites habitudes pour aller et revenir de l'école. Un gamin du Paris des années 60 comme un autre. Pas un gamin très brillant et éveillé mais ils ne le sont pas tous. Un jour du mois de mai 1964, il rentre de l'école et arrive chez lui. Il retrouve sa mère, sa tante et sa grand-mère. Il prend un goûter rapide et son père qui est arrivé lui demande à voir son carnet pour voir les devoirs qu'il a à faire. Il lui est demandé de conjuguer le verbe "rire". Luc va dans sa chambre et commence l'exercice dans son cahier.
A un moment, Luc sort de sa chambre et descend au rez-de-chaussée "pour ranger ses jouets" dit-il à sa mère. Quelques minutes plus tard, Suzanne (la mère de Luc) ne voit pas son fils remonter et elle se souvient qu'elle a laissé son sac en haut de l'escalier et elle sait que Luc peut ne pas avoir résister à la tentation de puiser dans son porte-monnaie. Elle retrouve le sac en bas et le porte-monnaie allégé. Plus de Luc. Il a pris la fille de l'air.
Quelque temps plus tard, Luc revient chez lui. Sa mère l'attend. Lorsqu'il l'aperçoit, après qu'elle lui a demandé d'où il venait, il rougit et tourne les talons pour fuir à toutes jambes. Nous sommes alors le 26 mai 1964, c'est un mardi et l'on ne reverra Luc que le lendemain, le 27 mai. Mort, dans un bois de Verrières-le-Buisson.

Voilà pour l'affaire. Le rapport avec l'effet papillon ? J'y arrive. Le 25 mai de la même année, à Saint-Germain-en-Laye (Seine & Oise), naît Philippe Jaenada. Lorsque Luc est retrouvé mort dans cette petite forêt, cela fait deux jours à peine que l'auteur a pris sa place dans la lignée d'Homo sapiens. C'est avoué par le romancier, s'il s'est pris d'intérêt pour ce fait divers, c'est parce qu'il y a presque concordance entre sa naissance et la mort de Luc. Comme s'il y avait un rapport de cause à effet. A moins que Philippe Jaenada soit un psychopathe extrêmement précoce et particulièrement habile, on peut écarter l'éventualité que l'assassin soit le nouveau né. S'il n'avance pas d'alibi, si l'on ne peut rien écarter, on peut supposer qu'il était alors, au moment des faits, à la fois étroitement surveillé et certainement dans l'impossibilité de commettre quelque acte répréhensible et a fortiori criminel qui soit. D'ailleurs, à ma connaissance, ni du côté de la police criminelle ni de celui de la Justice, on a ne serait-ce qu'un instant creusé cette piste. Je pense que Philippe Jaenada est innocent. C'est mon intime conviction. Pour ma part, bien que de la même année, je n'étais même pas encore né au moment des faits. Je n'ai rien à ajouter pour ma défense.

Le livre de Philippe Jaenada est un roman. Un roman-enquête mais un roman tout de même. Il est construit sur le même principe que la Serpe. Il y a exposition des faits, production des éléments d'enquête, le déroulé des faits et la conclusion "officielle" pour la première partie. La deuxième s'attache à une contre-enquête et au démontage en règle des certitudes passées. Philippe Jaenada revient sur tout en allant consulter les archives, en recoupant des sources, en questionnant des points précis, en se rendant sur des lieux pour s'imprégner de quelque chose d'impalpable, d'improbable. Cette enquête est captivante et se lit avec gourmandise, avec appétit. Elle est servie avec ce style qui me plaît tant, un mélange de gravité lorsqu'elle est nécessaire et de beaucoup d'humour lorsque cela est permis. Il y a ces digressions dont l'auteur a le secret qui déboulent sans crier garde et qui apportent de l'air, du détachement, de la vie. On ne parvient pas à se détacher du bouquin, on a envie d'aller plus loin, encore une page, s'il vous plaît, messieurs les boureaux. Un réel plaisir que de lire Monsieur Jaenada.

Avant de lire ce gros livre, avant d'en entendre parler sur France Inter ou par Marc qui a fait acte de générosité et de confiance en me le prêtant, j'ignorais tout de Luc Taron, de son assassinat et de tout le reste. Et pourtant, bien sûr, j'en avais entendu parler. Le truc, c'est que ça ne s'était pas imprimé dans ma pauvre cervelle cacochyme presque hors d'usage à un point tel que même la science n'en voudrait pas pour caler un meuble bancal. Luc Taron ? Inconnu au bataillon. Lucien Léger, par contre, bon sang mais c'est bien sûr ! Lucien Léger, longtemps détenteur du record de longévité de détention avec 41 ans d'emprisonnement, bien sûr que j'en ai entendu parler. C'est lui qui s'est accusé, qui a reconnu avoir commis le meurtre avant de se rétracter et de clamer son innocence des décennies durant. Pour Philippe Jaenada, s'il n'y a pas certitude que Lucien Léger est étranger à toute l'affaire, il y a fort à parier que d'autres ont échappé à la police et aux juges. Il faut avouer que c'est une affaire bizarre. Lucien Léger a bien reconnu et n'a jamais nié être à l'origine des lettres dont il a abreuvé les enquêteurs, les radios et journaux dans les premiers temps. Il signait "L'étrangleur" et se présentait comme l'assassin. Les explications qu'il pourra donner pour expliquer ces lettres anonymes peinent à me satisfaire. Une affaire compliquée qui n'a rien de très clair.
De plus, les axes de défense de Léger, une fois qu'il a décidé de se dédouaner de tout et du reste (sauf les lettres anonymes), sont difficiles à suivre. Il dit un peu n'importe quoi, utilise beaucoup trop les non-dits et les sous-entendus abscons, les allusions approximatives et les déclarations vaseuses.
Mais l'enquête de Philippe Jaenada pointe aussi quelques personnes troubles ou troublantes qui ont gravité à proximité plus ou moins immédiate de l'affaire. A commencer par le père de Luc Taron, Yves Taron, et Jacques Salce, graphologue. Jaenada brosse des portraits qui nous rendent ces deux hommes a minima antipathiques.
La dernière partie de ce roman est consacré à Solange, épouse de Lucien Léger. L'auteur ne cherche pas à cacher qu'il est touché par elle, qu'il a de l'empathie, de la peine. C'est un destin cruel qui accable cette femme qui aura eu une vie de merde et une fin précoce, en 1970, la trentaine. C'est jeune. Elle n'aura apparemment pas cessé d'aimer et défendre Lucien. Hospitalisée à maintes reprises dans des services psychiatriques qui n'auront d'autre soutien que de la bourrer de médicaments, elle suscite de la tristesse et du regret. A-t-elle su quoi que ce soit à propos de cette ténébreuse affaire ? Mystère et conjectures.


Ces 730 pages sont à dévorer moins pour le crime ou le fait divers que pour le bonheur de se plonger dans le style et l'humour de Philippe Jaenada.

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