Une belle quatre pattes

Lorsque Jean-Marcel lit cette offre d'emploi dans le journal, au comptoir du bistro où il avale son café chaque matin en discutant avec les autres habitués de la météo ou du dernier 49-3, il se dit que ce poste est pour lui et il demande un stylo et un bout de papier pour noter les coordonnées à contacter.
Chômeur de longue date, Jean-Marcel n'a plus qu'une très vague idée de ce qu'est un emploi à temps plein. Pour lui, la notion tient de la légende populaire, du gentil conte, de l'affabulation. S'il ne prétend pas chercher activement un emploi, s'il s'est habitué à se contenter de peu et de faire avec, cette fois, oui, il a envie de ce travail. Il est pour lui, il a les compétences, il a l'expérience, il a la volonté. Il a un numéro de téléphone, il sort son téléphone portable et appelle. Les astres sont parfaitement alignés, on lui propose un rendez-vous immédiatement, dès qu'il peut. Là, tout de suite, maintenant !
Il rentre chez lui, se donne un coup de peigne, change de T-shirt et file. En moins de vingt minutes, il est dans le hall d'accueil du petit bâtiment industriel de la petite société, une start-up, une jeune pousse, innovante. Il est accueilli et dirigé vers le bureau du directeur pour un entretien d'embauche qui se déroule encore mieux que dans ses plus beaux rêves. Le jeune directeur lui explique son projet, la création d'un véhicule pensé, conçu et manufacturé en France, une "quatre pattes" révolutionnaire, une nouvelle vision de la mobilité, un nouveau paradigme. L'entreprise cherche un pilote d'essai, un motocycliste chevronné. C'est tout Jean-Marcel ! La moto, c'est sa vie. Il a débuté avec un modeste cyclomoteur avant de passer à la 125 et, finalement, aux gros cubes. Il a roulé sous le soleil et sous la pluie, sur la neige et dans le sable, il a parcouru des centaines de milliers de kilomètres, c'est un vrai motard, un pur.
Le courant passe entre les deux hommes et on se quitte pour la signature du contrat de travail dans deux jours. Le salaire est plus que correct, les horaires aménageables, l'ambiance bon enfant. Jean-Marcel se sent pousser des ailes, il se voit penser à l'avenir, aux jours heureux. On lui a demander de venir avec son blouson et son casque. Il n'oubliera pas !
C'est le grand jour. Il est là, à l'heure, avec son casque et son blouson. On lui explique que les premiers tests vont pouvoir débuter, qu'il doit garder secret l'existence du prototype de cette "quatre pattes" tricolore et révolutionnaire. Il promet, jure qu'il sera muet comme une carpe, qu'il restera inflexible face aux questions que l'on pourra lui poser. On l'amène dans l'atelier pour lui présenter l'engin qu'il devra contribuer à mettre au point. Et là, bon, on ne va pas se le cacher, c'est un peu la désillusion, la douche froide. Il ne s'attendait pas à ça, Jean-Marcel. Il rêvait gros cube puissant et vrombissant, il se retrouve face à un… "véhicule" improbable avec la consigne de tenter le trot pour commencer avant d'envisager le galop. C'est pas gagné.

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