Doute, croyance, pensée critique, complotisme…

Hier soir, j'ai regardé la première partie de "Fake-up", une vidéo documentaire de Clément Freze, artiste mentaliste proche la sphère zététique française. Ce documentaire se donne pour vocation de répondre à une autre vidéo, "Hold-up" de Pierre Barnérias, Nicolas Réoutsky et Christophe Cossé sorti en 2020 qui attaque la gestion de la pandémie de COVID-19 par les dirigeants mondiaux et particulièrement les dirigeants français. L'idée est qu'il y aurait eu une volonté de créer ce coronavirus pour supprimer une substantielle partie de la population mondiale. Je n'ai pas vu ce documentaire.

Cela fait quelques années que je m'intéresse à la zététique, au scepticisme, à la pensée critique, aux pseudo-sciences, aux croyances ésotériques et paranormales, au complotisme, aux mouvements sectaires, à la question des pseudo-médecines et à tout plein d'autres choses en lien avec la dénonciation de tout ce qui peut distordre la réalité pour vendre du rêve ou de la peur.

Ni le complotisme ni la croyance au surnaturel ne datent d'aujourd'hui mais il semble que Internet a permis une très grande facilité de propagation de ces idées, une très grande audience. Sur YouTube, il est très facile de trouver des vidéos propageant de véritables conneries. Il n'est peut-être pas si grave de croire aux extra-terrestres, de penser que la Terre est plate, que l'on peut entrer en contact avec les morts. Il en va autrement lorsque l'on s'aventure sur les terrains de la santé et des médecines alternatives, des théories du complot.
Croire au fantômes, que les pyramides égyptiennes sont d'origine extra-terrestres ou que l'on peut tordre des cuillères par la pensée, c'est une chose. Croire que l'on peut soigner son cancer avec des infusions, croire que des êtres venus d'une lointaine planète ont pris le pouvoir à l'échelle mondiale sur notre planète pour nous asservir, c'en est une autre. Si l'on peut rire des croyances ridicules, si l'on peut se moquer de la crédulité, si l'on peut s'amuser des bonnes blagues faites aux personnes trop naïves, on ne rigole plus vraiment lorsque la démarche a pour but de faire du fric en jouant sur la peur, sur l'ignorance, sur la vulnérabilité.

COVID-19

Au début, il y a eu l'annonce d'une maladie qui touchait les habitants d'un coin paumé en Chine. C'était loin, c'était des Chinois. Un jour, on a appris que des cas avaient été découverts en Italie. C'était moins loin. Je me souviens qu'à l'époque on nous a rassuré. On nous a raconté que l'Italie, ce n'était pas la France. Je me suis souvenu avoir pensé au nuage de Tchernobyl. Je me souviens de l'assez désastreuse communication gouvernementale et présidentielle. Je me souviens que la veille de l'annonce du confinement et du premier tour des élections municipales, Macron nous enjoignait à aller aux terrasses des cafés et au théâtre. Je me souviens des masques inutiles, des masques dont on ne manquait pas, des masques trop difficiles à mettre en place même pour une ministre. Je me souviens des attestations de sortie qu'il nous fallait remplir et valider nous-mêmes, des restrictions de mouvement, des contrôles, de l'interdiction de s'asseoir sur la plage. Je me souviens aussi de Raoult qui devenait une star, de l'hydroxychloroquine. Je me souviens du Conseil scientifique, du dénombrement des morts du jour, des cartes montrant la progression du virus sur le territoire. Je ne dis pas qu'un autre gouvernement, qu'un autre président de la République, auraient mieux fait mais je constate juste que j'ai le sentiment que l'on a pris le peuple français pour un ramassis de cons.
Je me souviens d'une soirée avec des copains, plus tard, au cours de laquelle j'ai été très déçu par une personne que je jugeait jusque là plutôt sensée qui avait commencé à tenir des propos particulièrement stupides au sujet de la vaccination qui allait conduire à une mort quasi certaine dans les mois à venir. Il étayait ses propos en se référant à tout un tas de vidéos qu'il regardait sur YouTube ou sur des réseaux sociaux. Et là, j'ai commencé à comprendre qu'il y avait un sérieux problème.
Une copine m'envoie un jour un mail pour me demander si j'étais d'accord pour m'occuper de la communication d'un réseau d'antivax. Il s'agissait de lutter contre l'obligation vaccinale et de promouvoir les propos de Raoult, de Montagnier ou de Perronne. Je lui réponds que non, vraiment pas. Je l'ai revue récemment. Elle est assez fière de ne toujours pas être vaccinée (pas plus que ses enfants) et, même si elle a développé un COVID, elle affirme qu'elle a réussi à se soigner avec de l'homéopathie et des tisanes.

Hold-up

Le documentaire complotiste est annoncé par la presse, dans les journaux, à la radio, à la télé. Si je ne le regarde pas, c'est en partie parce qu'il faut payer (d'après ce que j'ai compris). Ce film a été financé sur la plate-forme de financement participatif Ulule à hauteur de 182 970 euros. Depuis, je sais que l'on peut le trouver et le voir sans bourse délier mais je n'en ai pas l'envie.
Peu de temps après sa sortie officielle, les critiques commencent à pleuvoir autant que les applaudissements. J'apprends que Monique Pinçon-Charlot intervient dans le documentaire et j'en suis déçu. Elle déclarera par la suite avoir été manipulée et demandera le retrait des séances où elle apparaît. On estime que 12,5 millions de personnes ont vu Hold-up.
Si je n'ai pas vu le documentaire, j'ai vu et écouté des critiques. Cela me suffit pour me faire une idée sur la question.

Fake-up

Dans le petit monde de la zététique et de la pensée critique, on dit tout le mal qu'il faut penser du film. Clément Freze annonce qu'il travaille sur un film réponse, un film qui va revenir sur les propos et idées énoncés dans Hold-up pour les démonter un par un. Il a fallu attendre, il y a eu des reports de sortie, des retards, mais ça y est, Fake-up est visible sur YouTube. Clément Freze précise que ce film a été réalisé en partie sur ses fonds propres, qu'il n'a pas été fait sans difficultés.
Hier soir, donc, je le regarde. Comme je n'ai pas vu le film auquel il se réfère sans cesse, je dois forcément rater certaines choses. Cependant, dans les grandes lignes, je parviens à suivre et comprendre. Je regarde Fake-up (la première partie) et j'éteins l'ordinateur pour aller bouquiner avant de m'endormir.
La nuit passe et je me réveille avec des questions. Est-ce bien nécessaire ? Est-ce bien efficace ? Peut-on faire réfléchir les gens ? Peut-on les persuader qu'ils croient en des choses fausses ? Clément Freze fait ce qu'il peut pour expliquer, pour dénoncer les mensonges, pour rétablir les faits, pour montrer la vérité des faits. Peut-il convaincre des convaincus ? Je ne le sais pas.
Nous vivons une époque de propagande et de manipulation à une échelle sans doute jamais connue. Trump et Q-Anon aux États-Unis d'Amérique, Poutine en Russie. Où en sommes-nous, nous ? Bien sûr, les complots existent et ont existé. Bien sûr, on ne nous dit pas tout. Bien sûr les états utilisent les outils de propagande. Tout cela n'est pas nouveau. On peut manipuler les foules, les peuples, leur faire accepter l'inacceptable. Souvenons-nous du régime nazi, du drame du Rwanda, du stalinisme.
Douter, ça peut être salvateur. Ça peut aussi ne pas l'être. Pyrrhon prétendait qu'il ne fallait se fier à rien, pas plus aux sens qu'à la raison, rester dans un état de non-opinion à tous sujets. Le scepticisme scientifique, la démarche scientifique, demande des preuves. On ne peut pas seulement annoncer quelque chose. La vérité scientifique tient jusqu'à preuve du contraire. Elle n'est jamais arrêtée. On ne peut pas affirmer sans preuve. Cela vaut pour la science mais aussi pour la presse. Quoique dans ce domaine, la presse, il y a l'aspect financier qui peut pousser vers le sensationnalisme.
La science n'est pas exempte de défauts. Déjà, il y a des domaines variés et un expert d'un domaine ne comprendra peut-être pas les domaines de recherche autres. Un quidam tel que moi doit se replier vers la vulgarisation scientifique pour survoler les idées scientifiques. Cela ne fait pas de moi un scientifique. Il faut savoir reconnaître son incompréhension, savoir dire que l'on ne sait pas lorsque c'est le cas. Lorsque la science est si compliquée à comprendre et que l'on nous propose des vérités et des explications alternatives bien plus simples, bien sûr que l'on a tendance à aller voir ces dernières ! Là, on pige au moins ! Si le monde scientifique nous dit que, dans le fond, on ne sait pas grand chose de l'apparition du coronavirus à l'origine de la pandémie de COVID-19 et que, d'autres sources, avec aplomb, nous proposent des réponses claires et simples à base de complot mondial, bah, ma foi, au moins, eux, ils ont des explications à proposer. En plus elles ont tendance à aller dans le sens qui me plaît alors…
Taper sur Macron, sur ses ministres, sur les flics, sur les règles "liberticides", si on n'aime pas Macron, ça peut conduire à aller lorgner du côté des "complotistes". D'ailleurs, il y a des passerelles poreuses entre ces milieux clairement complotistes et la politique. Que ce soit à gauche ou à droite. La beauté de l'exercice est qu'il suffit de prendre ce qui va dans le sens que l'on veut, finalement. Sauf que la science, elle, elle n'est pas là pour découvrir ce qui peut nous plaire (ou si mais indirectement). Si la science trouve une molécule permettant de soigner telle maladie ou une loi physique permettant de construire tel équipement, au départ, elle ne travaille pas pour une application de ses découvertes. Ce que nous ne comprenons pas ou ne nous expliquons pas ne nous plaît pas. Si les religieux nous enseignent qu'un dieu ou une force a créé l'Univers d'une pichenette, du coup on comprend, on croit et on retourne biner ses carottes l'âme sereine. Il est plus simple de croire que de douter. Plus confortable.

En guise de conclusion

Que vous ayez vu ou pas Hold-up, allez voir Fake-up. Clément Freze explique clairement ce qu'il espère. Il fait le pari que vous sortirez de son documentaire plus intelligent, plus ouvert à une certaine forme de scepticisme, plus ouvert au doute, que vous réfléchirez plus.
Fake-up - Clément Freze

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