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La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada

C'est l'histoire de Kaki, d'une partie de sa vie et puis de sa mort. L'histoire de Jacqueline Harispe morte par défenestration en 1953, à l'âge de vingt ans, à Paris, pas loin du cimetière Montparnasse. Accident ou suicide ? Assassinat ? Sans doute une lassitude profonde, l'idée d'en finir. Philippe Jaenada part de ce fait divers pour nous raconter une autre histoire, peut-être bien le vrai sujet du livre.
De l'histoire brève d'une jeune femme morte à vingt ans, comment en vient-on à décider à faire le tour de France en voiture de location en longeant les côtes, les montagnes, les frontières du pays ? Comment d'une affaire tout à fait parisienne, d'une affaire qui se passe majoritairement dans un tout petit quartier parisien, en vient-on à boucler un voyage au plus près des limites du pays ? Pour moi, ce livre raconte deux histoires distinctes que rien ne semble pouvoir raccrocher l'une à l'autre.
Soixante-dix ans séparent la mort de Kaki et le voyage en solitaire de l'écrivain. Ce qui, sans aucun doute, relie la jeune femme et l'écrivain voyageur, c'est la quête. La quête de quelque chose, d'une réponse, d'une explication, d'une raison à tout ça, le pourquoi de la vie, le pourquoi du comment, le pourquoi pour le pourquoi. C'est un travail d'introspection dans lequel l'auteur essaie de recoller les morceaux et imagine qu'il trouvera une réponse à ses questions en questionnant ce qu'il pourra trouver en enquêtant sur la vie et la mort de Kaki ainsi que sur celles et ceux qui l'entouraient. En enquêtant aussi sur un Paris qu'il n'a pas connu, un Paris qui n'existe plus, et qu'il va s'appliquer à reconstituer avec minutie, traquant les traces encore aujourd'hui présentes ou se plongeant dans les archives, les photographies, les mémoires.

Il est question de désinvolture. le dictionnaire de synonyme donne comme équivalence : légèreté, aisance, liberté et grâce mais aussi impolitesse, grossièreté, inélégance ou arrogance. Gardons les termes positifs. Ce sont eux qui qualifient bien l'écriture de Philippe Jaenada. Il y a bien de la désinvolture dans son style. De l'auto-dérision, de l'humour, de la délicatesse, du détachement. Le livre commence par le vrai point de départ choisi pour son tour de France derrière un volant. Dunkerque. Il faut bien partir de quelque part. Dunkerque, c'est la mer du Nord, la pointe la plus septentrionale de la France continentale. Philippe Jaenada met en place les rituels qui seront de mise tout au long du voyage. Trouver un bar où l'on sert du whisky, un restaurant pas trop mauvais, un hôtel sympathique où dormir. Il voyage seul mais tout de même en compagnie de Gladys, la voix du GPS embarqué. Il ne va pas raconter les autoroutes et les routes empruntées mais va nous faire faire des sauts de puce d'étape en étape.
Après Dunkerque, Veules-les-Roses, Cherbourg, Dinard, Konk-Leon (le Conquet), Saint-Nazaire, Saint-Jean-de-Monts, Saint-Georges-de-Didonne, Arcachon, Hendaye, Bagnères-de-Luchon, Port-Vendres, La Grande-Motte, Toulon, Menton, Briançon, Évian-les-Bains, Montbéliard, Wissembourg, Sedan, Givet, Maubeuge et, fatalement, Dunkerque avant le retour à Paris.
Chaque étape est l'occasion de faire le point sur l'enquête et de dévoiler des anecdotes personnelles. Au rythme des sauts de puce, on apprend à connaître les amis de Kaki, le bar « Chez Moineau » et par là-même Guy Debord et le photographe Ed van der Elsken qui a documenté cette jeunesse des tout débuts des années 50 à Paris.

Dans ces années là de l'immédiat après guerre vit une jeunesse qui n'a pas connu l'enfance insouciante, qui a vécu des drames, qui a pu perdre ses parents, ses frères et sœurs, ses proches. Une jeunesse en recherche d'une raison de vivre, une jeunesse en quête de sens, une jeunesse perdue qui cherche des solutions dans l'alcool, dans la drogue, dans le sexe. Une jeunesse qui cherche à fuir une époque qu'elle ne comprend pas et qui ne les comprend pas. C'est le vertige destructeur d'une jeunesse en dérive.
Le petit groupe formé avec et autour de Kaki vit de ce qu'il peut. A l'occasion, on se fait voleur pour se payer de quoi boire, se droguer et manger, on se prostitue, on se débrouille. Le Paris de l'époque est encore pauvre, majoritairement populaire. L'occupation allemande est encore dans les esprits et si la guerre est finie, le bonheur tarde à arriver. Philippe Jaenada fait revivre ce Paris qu'il n'a pourtant pas pu connaître. La France est encore en guerre, loin, là-bas en Indochine. Bientôt, elle le sera de nouveau en Algérie. Mais ça, Kaki ne le saura jamais.

Ce livre fait appel à la désinvolture mais ne serait-il pas plutôt question de mélancolie, d'une triste mélancolie, une mélancolie sensible ? C'est à dire que la vie et la mort de Kaki et même le voyage de l'auteur autour des limites et frontières nationales ne respirent tout de même pas la joie de vivre. Que ce soient ces jeunes qui passent leurs journées à picoler dans un bar miteux ou que ce soit un écrivain (très bon néanmoins) qui voyage seul, avec son GPS pour unique compagne, sans autre but et destination que Dunkerque, ce n'est pas ce que j'appelle de la joyeuse gaudriole.
Moi, je pense que Kaki, c'est un prétexte, une icône romantique, une excuse à la mélancolie. Philippe Jaenada est un poil plus vieux que moi (de quelques mois). Nous sommes de la même génération, nous avons connu peu ou prou les mêmes périodes, les mêmes événements, les mêmes espoirs et désillusions. Nous sommes nés sous de Gaulle, avons connu Pompidou et Giscard, Mitterrand et Chirac ; nous avons peut-être écouté les mêmes musiques, vu les mêmes films, lu les mêmes livres. Les tourments des vieux jeunes nés dans les années 60 doivent être communs à pas mal de celles et ceux nés ces mêmes années.
Kaki est née en ou vers 1933. Au début des années 50, Guy Debord porte les germes du Situationnisme en lui. En gros, le Situationnisme propose que l'on participe à la révolution en créant des situations à partir des moments de sa vie, sans s'occuper plus du passé que de l'avenir. Chaque individu doit s'auto-gérer et vivre dans la plus extrême liberté d'être. Il y a une forme d'hédonisme mâtiné d'une dose de cynisme et de nihilisme de bon aloi. La doctrine veut en finir avec le capitalisme en le ridiculisant et en ridiculisant ce qu'il produit. Ainsi, on détourne, on se moque mais, surtout, on boit beaucoup. Le petit bar « Chez Moineau », rue du Four, en est le témoin.
Pour la génération qui suivra, il y aura le Flower Power, qui prendra fin avec l'assassinat de Sharon Tate par des membres de la secte de Charles Manson. Là aussi on peut voir une jeunesse qui tente de survivre dans une société qui propose la guerre du Viêt-Nam et la guerre froide comme uniques perspectives. Et là aussi, on peut voir des jeunes s'adonner sans retenue à l'illusion de la consommation de drogues, d'alcool et de sexe.
Pour ma génération, il y a le mouvement Punk anglais qui répond à Thatcher, à Reagan, au capitalisme et au libéralisme naissant. Alcool, drogue, sexe, toujours au rendez-vous. La décennie suivante aura le mouvement Grunge.
A chaque période ses icônes. Amy Winehouse, Kurt Cobain, Sid Vicious, Janis Joplin, Hendrix, Morrison… Est-ce que Kaki a sa place dans ce funeste panthéon ? Ce qui me semble certain, c'est que Philippe Jaenada cherche dans le suicide de Kaki une ou des réponses à la mélancolie d'une partie de la jeunesse, de toutes les époques. Les raisons de cette mélancolie ne sont pas toujours semblables, les solutions, elles, se ressemblent souvent.

Ce livre n'est pas joyeux. Les précédents de l'auteur ne le sont pas particulièrement non plus, il faut le reconnaître, mais, habituellement, Philippe Jaenada mène l'enquête et traque le ou les coupables. Là, s'il s'agit bien d'un suicide dans le cas de Jacqueline Harispe, la coupable est connue depuis le départ. L'enquête consiste à reconstituer ce qui a mené une jeune femme décrite comme belle, vive et intelligente à se jeter par la fenêtre d'un hôtel parisien alors qu'elle est enceinte et amoureuse d'un beau soldat américain. On sait qu'il n'y aura pas de réponse à la question et ça finit par tourner en rond dans la tête, comme on fait un tour de France en voiture et en solitaire pour revenir au point de départ avec toujours cette question : « Pourquoi ? »


La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada — Mialet Barrault éd. - ISBN 978-2-0804-2729-8

Le serpent majuscule

C'est au sujet d'un roman de Pierre Lemaitre. Pierre Lemaitre, je l'ai découvert avec Au revoir là-haut, roman paru en 2013 et récompensé de plusieurs prix littéraires. La lecture avait été jubilatoire et j'avais dévoré le reste de l'œuvre de l'auteur.
L'autre jour, une copine me demande s'il me plairait de lire un bouquin de Pierre Lemaitre. C'est celui dont j'ai envie de vous parler aujourd'hui, il a pour titre Le serpent majuscule et c'est tout à la fois le premier et le dernier roman noir de cet auteur.

Je ne sais pas si l'on peut faire confiance aux romanciers pour dire la vérité. Il nous est dit que ce roman, Le serpent majuscule aurait été écrit en 1985. Jamais publié, il se trouve que Pierre Lemaitre remet la main dessus et, en le redécouvrant, il se dit qu'il n'est pas si mal que ça et qu'avec juste une petite relecture attentive, quelques menues corrections, il pourrait tout à fait trouver sa place dans les librairies. L'histoire est presque trop belle et on ne demande qu'à la croire tant la lecture du bouquin est un délice.
Il y a pas à tortiller, un bon livre, ce n'est pas difficile à reconnaître. Si vous ne parvenez pas à le lâcher, si vous le dévorez trop vite à votre goût tant vous aimeriez que l'histoire dure encore et encore, c'est que c'est un bon livre. Et voilà que ce livre là, c'est un sacré bon livre. D'abord, je ne vois même pas pourquoi je vous en parlerais si ce n'était pas le cas. Pour me moquer, pour vous avertir, vous prévenir ? Oui, je pourrais faire ça le cas échéant et d'ailleurs, je me demande si je ne l'ai pas déjà fait. Me souviens plus très bien. Celui-ci, pas d'erreur, il faut le lire. Surtout si on aime le roman noir, surtout si on aime la belle écriture.

Il y a plusieurs personnages. Des femmes, des hommes, des chiens, des policiers et même des morts. Au début, les morts ne le sont pas encore et à la fin, les vivants ne le sont plus tous. Le personnage principal, c'est Mathilde, une petite et grosse femme d'une soixantaine d'années qui vit seule (parce que veuve) du côté de Melun, en Seine-et-Marne. Ah si, tout de même, elle a un chien, un dalmatien qui s'appelle Ludo. Elle a une fille et son époux était médecin. Elle roule en Renault 25 de couleur claire.
Il y a aussi René Vassiliev qui est policier, inspecteur, grand et voûté, mince, un poil dépressif. Il va mener une enquête à propos de l'assassinat en plein Paris d'un industriel. Il a une relation presque filiale avec un vieil homme, préfet retraité qui, l'âge aidant, perd la tête. Heureusement pour lui (pour le préfet), une jeune femme d'origine cambodgienne l'aide dans son quotidien. Le René Vassiliev vient souvent rendre visite à M. de la Houssaye (que l'on appelle Monsieur et qui est le préfet). Et aussi, il est un peu amoureux ou pour le moins attiré par la jeune asiatique, Tevy.
Sinon, nous avons aussi Henri, ancien résistant, ancien compagnon d'arme de Mathilde, elle aussi ancienne résistante et décorée de la médaille de la Résistance. En quelque sorte, Henri a sans doute été amoureux de Mathilde mais la vie a fait que ça ne s'est pas fait. Mathilde a épousé son médecin elle a eu une fille et les années ont passé. Quoi qu'il en soit, Henri et Mathilde sont toujours restés en étroite relation d'un point de vue professionnel.
Qui d'autre ? Il y a le commissaire, un type pas franchement agréable qui se goinfre de graines, de noix de cajou ou de cacahuètes. Un commissaire pas très futé, colérique, prétentieux. Et Lepoitevin, le voisin direct de Mathilde qui n'aime rien tant que jardiner. Mathilde ne l'aime pas du tout, celui-là !

Et donc, il y a tout ce petit monde plus d'autres personnes dont des qui vont mourir bientôt et c'est parti pour un bon roman noir avec des crimes, de l'amoralité en veux-tu en voilà, beaucoup d'humour et un peu de tendresse. On ajoute une dose de problèmes psychiatriques avec le commissaire Occhipinti qui est tout de même un peu con et qui ne pense pas beaucoup sauf à son avancement, avec Mathilde qui, à soixante ans passés commence à s'emmêler les pinceaux dans la tête et avec le préfet, Monsieur, qui fait de la démence sénile.
Au chapitre des véhicules mis en scène dans ce roman de trois cents pages, on notera une Renault 25 de couleur claire, une Citroën AMI 6, un fourgon immatriculé en Belgique et, pour un court passage, un camion dont on ne sait pas grand chose.

En gros, tout est là pour écrire un roman noir épatant (plus personne n'utilise cet adjectif, ça me fait penser aux Pieds Nickelés à chaque fois). Tout est là sauf que moi, ça me fait un peu enrager, justement. Non parce que, soyons honnêtes, même en ayant tout les éléments, jamais je n'aurais pu écrire une telle merveille d'humour noir déjanté. Ah ! C'est qu'écrivain de grand talent, c'est un métier, ce n'est pas donné à tout le monde. Remarquez qu'à la réflexion, c'est pas plus mal que ça ait été écrit par meilleur que moi. Ça m'a donné l'occasion de lire un bon bouquin. Allez, disons-le, sans doute le meilleur de ceux que j'ai pu lire cette année.
Je n'ai même pas envie de vous raconter l'histoire, même pas un début de contexte, un commencement. Je n'ai pas envie de vous dire qui fait quoi et comment et pourquoi. Je peux dire qu'il y a des morts, des assassinés, des gros calibres du genre "Desert Eagle", des balles tirées dans des bas-ventres, des têtes qui explosent. Ça ne rigole pas, ça tue froidement et (presque) proprement (mais salement tout de même). La majorité des crimes sont commis par une même et unique personne qui agit avec un professionnalisme à toute épreuve et un sang-froid qui, peut-être, donne le titre au roman.
Dans l'histoire, il y a des moments où on pense avoir deviné ce qui va se passer la page suivante sauf que Pierre Lemaitre, en génie littéraire qu'il est, parvient à vous surprendre encore et encore. Et cela jusqu'aux toutes dernières pages. Et là, moi je dis chapeau parce que j'en ai soupé des romans cousus de fil blanc ou de ceux qui se sortent d'une intrigue par une pirouette improbable. Non, franchement, il n'y a pas à dire, c'est du bon Pierre Lemaitre.

Le serpent majuscule - Pierre Lemaitre
D'ailleurs, puisque j'en suis à parler de l'auteur, je dois reconnaître que je n'ai pas lu les deux romans qui font suite à Au revoir là-haut. Pourtant, ce roman là, comment je l'ai aimé ! Et même l'adaptation cinématographique coécrite avec Albert Dupontel. Pourtant, je ne sais même plus pourquoi, j'ai eu l'idée, peut-être foireuse à souhait, que la suite n'allait pas être aussi bonne. En fait, si, je pense me souvenir. C'est qu'il y a eu un assez gros battage médiatique à la sortie du deuxième roman de la trilogie Les enfants du désastre, Couleurs de l'incendie et que ça m'a gonflé un peu. A l'époque, en 2018, je me suis dit que j'allais attendre, que j'allais voir si les éloges se faisaient encore entendre après une semaine. Et puis, j'ai eu des échos de personne ayant lu ce deuxième roman et il m'a semblé qu'il n'était pas à la hauteur du premier. Puisque je n'avais pas lu le deuxième, je ne pouvais pas lire le troisième. Il faut un peu de cohérence, dans la vie. Et même si c'est pour avoir l'air encore plus con que d'habitude, nom de dieu !

En cherchant les titres de cette trilogie sur wikipedia, je découvre à l'instant que l'on dit que Pierre Lemaitre habiterait dans l'agglomération de Périgueux. Je savais bien que c'est quelqu'un de bien, cet homme là. Si un jour on se croise, faudra qu'il m'invite à manger histoire qu'on cause littérature.
Bien. Puisque je n'ai aucune envie de vous raconter le livre, que je ne vais pas non plus passer mon temps à vous faire perdre le vôtre à dire tout le bien que je pense de Pierre Lemaitre et de la plupart de ses romans (les autres, je ne les ai pas lus), je ne peux que vous encourager à trouver un exemplaire de ce bouquin qui est sorti au Livre de Poche et qui est vendu la bagatelle de 7,90 euros. Vous verrez, vous ne serez pas déçus.

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