En vérité, je vous le dis

Il m'a été communiqué quelques textes écrits en vue de participer à un concours de nouvelles policières. Si l'essentiel est de participer et s'il est entendu que l'on ne s'improvise pas auteur et écrivain, je suis néanmoins étonné par la prétention qu'ont certaines et certains, la confiance absolue dont ils et elles font preuve.

Je suis d'accord sur un fait. On sait bien que tous ne sont pas ou ne seront pas Agatha Christie, Conan Doyle, Georges Simenon, Raymond Chandler, Léo Malet, Jean-Patrick Manchette ou Frédéric Dard. On sait que pour un petit concours organisé localement, on ne peut pas tabler sur la participation des pointures du genre. D'accord. On fait appel à la bonne volonté d'apprentis écrivains qui acceptent de rédiger une courte nouvelle du mieux qu'ils peuvent. D'accord.
Passent encore les fautes de français et d'orthographe. Déjà, j'estime que la langue peut être tordue, malaxée, arrangée, afin de donner un style au récit. On peut inventer des mots, bousculer la syntaxe, et, si c'est bien fait, j'y trouve du plaisir à lire cela. Mais, à mon avis, surtout dans le cadre du polar, il faut un minimum de rigueur. Je ne dis pas qu'il faille que tout soit réaliste. J'accepte que le crime ait été commis par un extra-terrestre descendu sur Terre pour éliminer une personne qui engendrera un enfant qui, lui même, donnera naissance à un autre enfant qui sera le premier à mettre le pied sur une lointaine exoplanète habitée et causera la perte de milliards d'êtres parce qu'il avait avec lui une bactérie ou un virus ou je ne sais pas quoi. Aussi, je veux bien du policier humoristique ou absurde comme chez Douglas Adams.
Mais là, en ce qui concerne les nouvelles que j'ai pu lire, j'ai tout de même l'impression très nette que soit on ne sait simplement pas construire une histoire, soit on se débarrasse de la promesse que l'on a pu faire de participer au concours au plus pressé, dans un état second, peut-être fortement alcoolisé, en s'en foutant comme de sa première trace de morve sur sa grenouillère.
Autrefois, il faut le reconnaître, on pouvait écrire quelque énormité sur un pays ou sur les mœurs en cours dans une région du monde parce qu'il était difficile d'avoir accès à de la documentation. Mais aujourd'hui, avec Internet, ce n'est pas difficile de vérifier et d'éviter les monstruosités. Un minimum de culture générale ne peut pas nuire non plus.

Ce que je dis à propos du genre policier vaut bien sûr pour d'autres exercices littéraires mais il me paraît que pour la littérature de genre (policier, science-fiction…) il existe un corpus de règles généralement admises bien qu'il soit tout à fait acceptable de s'affranchir de certaines d'entre-elles. Il est, me semble-t-il, indispensable qu'il y ait un réel effort de cohérence et qu'un fait reste un fait. C'est à dire que si un crime a été commis, on ne doit pas se rendre compte au bout de quelques pages que l'intrigue porte désormais sur une part de pudding qui aurait disparu du plateau des desserts dans un restaurant de Haute-Savoie tandis que le curé était en pleine partie de belote avec le patron de la pègre de Chicago sur un paquebot voguant vers le Kazakhstan. Le lecteur a besoin d'un minimum de vraisemblance faute de quoi, il y a fort à parier qu'il refermera le bouquin et demandera qu'on le lui rembourse illico presto toute affaire cessante et dans les meilleurs délais.
C'est un fait que le roman policier (ou la nouvelle policière) peut être très décevant au moment où survient la résolution. Ainsi, il y a quelques années, j'avais été très déçu à la fin d'un roman (pourtant écrit par un auteur réputé) qui se permettait, alors que le policier était à deux doigts de se faire assassiner par le meurtrier qu'il pourchassait depuis trois-cents pages, de faire atterrir un hélicoptère chargé de nombreux policiers armés qui allaient le sauver. Déjà, j'aurais été le meurtrier, perdu pour perdu, j'aurais malgré tout tué ce policier qui l'embêtait depuis tant de pages. Rien que pour le plaisir. Mais là, non. Le meurtrier, bien que visiblement psychopathe tueur, décide d'accepter de se rendre aux autorités, la mine déconfite de l'enfant que l'on prend les doigts dans le pot de confiture.
Si l'on me raconte que l'histoire se déroule dans la forêt amazonienne mais que, d'un coup, on me dépeint un paysage désertique fait de dunes de sables sans trace de végétation, ça me dérange. Si l'on me dit que les meurtres ont été commis par un petit homme malingre, hémiplégique, se déplaçant en fauteuil roulant mais qu'à la fin c'est monsieur muscle et que cela explique comment il a pu balancer depuis le clocher de l'église tout un tas de personnes amenées là à la seule force de ses bras et jambes, je renâcle. Faut que ce soit un peu crédible, quoi !

Parmi les nouvelles que l'on m'a donné à lire, une se passe sur le continent antarctique, en terre Adélie, autour de la base Dumont d'Urville. L'auteur signale que ça se passe par un froid hiver de décembre. Aïe. Qui ne sait pas que l'Antarctique est dans l'hémisphère sud ? Qui ne sait pas que les saisons sont inversées par rapport à celles de l'hémisphère nord ? On continue. L'auteur se souvient des photos d'ours polaires et de pingouins dans ses livres d'école. Re-aïe ! Bon point, l'auteur précise qu'il fait froid. Par contre, ils n'auraient été que sept personnes sur toute la base. C'est bien peu. On y aurait dénombré quatre scientifiques (dont la morte), un mécanicien, un conducteur d'engin et un médecin. Si j'en crois le site officiel de cette base, au plus creux, on dénombre entre 25 et 35 personnes. Mais passons.
Une autre nouvelle raconte l'histoire d'un homme qui ne supporte pas un voisinage jugé trop bruyant. Il va user de techniques machiavéliques pour tuer tout le monde. Du genre, par exemple, d'un CD de la Callas qui aurait pour mérite de fondre en dégageant du gaz mortel à l'écoute. Ben voyons ! Autre trouvaille, une galette d'un produit qui, placé dans le réservoir d'une motocyclette entraînerait l'explosion de celui-ci et, par conséquence, la mort du pilote. Pourquoi pas ? Ou encore cette mère de famille qui reçoit par courrier des pilules amaigrissantes, qui acceptent de les avaler et qui s'endort au volant avant de percuter un camion. Mais bien sûr !
Une autre nouvelle encore me laisse perplexe tant je ne comprends rien à l'histoire. Je l'ai pourtant lue trois fois. Là, je ne trouve rien à dire. Il est possible qu'il me manque des références, que je ne comprenne pas ce que l'autrice ou l'auteur a voulu dire. Avantage de cette nouvelle : elle ne fait que deux pages.
La quatrième, elle, est bien écrite. L'intrigue n'a pas grande importance (pour tout dire, on s'en fout). C'est plus un bel exercice d'écriture qu'une nouvelle policière, selon moi.

En conclusion, je dirai que c'est bien et méritoire d'accepter de participer mais qu'il ne faut pas s'y sentir obligé.

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